« Loup y es-tu ? »

 

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La lune était haute et pleine ce soir. Elle semblait occuper la moitié du ciel. Malgré tout, les étoiles brillaient comme des diamants au firmament. Je souris. Que cette formulation est ringarde ! Mais elle correspondait bien à mon humeur. Il allait faire beau demain. Beau, mais froid. Déjà maintenant, je n’avais pas chaud. Mon haleine dessinait des nuages de brume. S’il n’y avait pas eu ce temps et les circonstances j’aurais pris beaucoup de plaisir à me promener.

On n’avait pas idée de faire le pied de grue comme cela en pleine nuit, dans ce quartier désert et silencieux. J’essayais de me réchauffer tout en faisant le moins de bruit possible. Il ne fallait pas que la personne que je surveillais se rende compte que nous étions là. Je jetais un coup d’œil à mon collègue, ce bon vieux Bob. Il s’était installé dans la voiture avec une couverture et malgré la température, il s’était endormi comme un bébé. Je souris de nouveau. Je savais pertinemment qu’il ne fallait pas se fier à son air bon enfant et rondouillard. Malgré sa fausse bonhomie de père Noël, il était capable de réagir très vite. Je ne comptais plus le nombre de fois où il m’avait sorti du pétrin.

Je poussais un petit soupir. Nous ne faisons pas un métier facile. Combien de nuits comme celle là, j’avais déjà passé à guetter un éventuel criminel ? Cela représentait combien de planques sordides ? J’en avais perdu le compte.

Seulement cette nuit, nous chassions un gros gibier. Nous traquions le « loup-garou ». Enfin, c’est ainsi que les journalistes en manque d’un gros titre l’avait surnommé. Ce n’était pas mal comme nom. Il était bien trouvé. Oh ! Ce n’était pas un vrai, bien sûr, cela n’existe pas. Du moins ce n’était pas un animal, juste un monstre humain. Un sadique qui commettait des crimes atroces à chaque pleine lune depuis près de six mois. Il s’attaquait à toute personne qui se promenait seule en pleine nuit, hommes, femmes ou enfants. Il devait être d’une force peu commune. Il égorgeait sans pitié ses malheureuses victimes, avec une férocité à laquelle aucun animal ne pouvait prétendre. Puis, il leur arrachait le cœur. Parfois même il en scalpait quelques unes ou leur arrachait des morceaux de peaux, sans que l’on puisse établir un schéma cohérent. Jamais on ne l’avait retrouvé sur les lieux des crimes. Certains commençaient à raconter qu’il dévorait, tout cru, ses proies. Enfin, ce type devait être bien atteint.

Toute la ville en était sens dessus dessous. Le maire avait décrété le couvre feu et toutes les unités de police était mobilisée avec pour consigne de faire feu sans sommation sur tout ce qui bougeait. Sans aucun succès jusque là. Nous avions tout essayé. Des appâts humains surveillés par des hommes fortement armés, n’avaient rien donné. On avait l’impression qu’il sentait les pièges que nous lui tendions. En plus d’être un fou homicide, il était indiscutablement très intelligent. Ce n’était pas un client facile.

En y pensant, je réajustais mon fusil à pompe machinalement. Qu’il y vienne, j’avais du plomb bien chaud pour lui … une fois cette histoire réglée, nous pourrions enfin retourner dans notre lit bien chaud. Je marchais un peu pour me réchauffer et je m’écartais de la voiture de patrouille.

Seul le fait de rester enfermé chez soi, tenait le tueur à l’écart. Allez comprendre pourquoi ! Il ne s’attaquait jamais aux personnes seules lorsqu’elles étaient dans leur maison. Maintenant que dès la tombée de la nuit tout le monde se verrouillait, tremblant à leur domicile, le nombre des agressions avait diminué. Maintenant, il n’y avait plus que les flics pour sortir la nuit. Les policiers et un fou …

La psychose était devenue telle que des bons concitoyens s’étaient cotisés pour fournir aux différentes patrouilles des balles en argent. Dans mon cas, mon chef m’avait attribué cinq cartouches de grenaille en argent. Je les gardais dans ma poche, mon goût de l’économie m’incitait à ne pas les utiliser. J’en trouvais le coût horriblement disproportionné par rapport à ce que nous chassions. J’avais chargé mon arme avec de la bonne vieille chevrotine. Un bon coup de douze dans les fesses calmerait aussi bien ce maniaque… et cela reviendrait moins cher.

On ne comptait plus non plus le nombre d’accidents provoqués par les armes à feu. Les gens essayaient de se rassurer avec des gros fusils qu’ils ne maîtrisaient pas et ils tiraient sut tout ce qui bougeait dans l’ombre. Le nombre de chiens, d’enfants ou d’autres innocents passants abattus par erreur ne se comptait plus. Le nombre de morts étaient plus important que celui commis par le tueur. Il y avait même des types un peu dérangés qui avaient essayé de copier le « loup-garou ». Nous arrivions facilement à différencier les copies des oeuvres du maître, les légistes pouvant identifier que les traces laissées par les armes étaient différentes.

Nous avions arrêté quelques uns de ces petits plaisantins. Mais nous ne les avions pas découragés. Non, ce qui avait mis un terme à cette imitation c’était une chose que moi je trouvais bien plus drôle. Un imitateur s’était retrouvé face à l’original. Ce dernier ne semblait pas avoir apprécié l’hommage et il lui avait fait subir le sort de ses autres victimes. Pour une fois, nous avions diffusé largement la nouvelle dans la presse. Par la suite, ce cas ne s’était plus représenté. Pour une fois, ces fouinards s’étaient révélés utiles.

Sans m’en rendre compte, en rêvassant, j’avais continué à m’écarter de mon collègue. Un bruit dans une ruelle attira mon attention. Je levais d’un geste le canon de mon arme et le pointais dans le noir. Ma lampe éclaira le couvercle d’une poubelle en train de rouler sur le sol. J’hésitais. Qu’est ce que je devais faire ? Bah ! J’allais jeter un coup d’œil en solo. Cela devait encore être une de ces saletés de chat ou de chien errant. Je ne voulais pas réveiller ce bon vieux Bob pour rien. Il se moquerait de moi pendant des semaines en me traitant de vieille fille qui a peur du noir. S’il y avait le moindre problème, au premier coup de fusil, il rappliquerait à toute vitesse.

Je me rendis compte que j’étais bien seul. Pour un maniaque je devais sembler être une proie bien tentante. Je remplissais toutes les conditions nécessaires. Passer du statut de chasseur à celui de gibier ne me tentait pas du tout. J’armais d’un coup sec mon fusil. Là, d’un coup j’étais parfaitement réveillé.

En essayant de ne pas claquer les dents, de froid ou de peur, je m’enfonçais dans la ruelle. D’un coup de pied, je renvoyais le couvercle au fond de la petite rue. Rien ne bougea. Aucune bestiole ne détala ni ne hurla. Je me préparais à chaque instant à voir surgir dans le faisceau de ma lampe les yeux brillants d’un chien ou d’un chat. Je ne voulais pas sursauter lorsque si j’en débusquait un. J’avais ma fierté. Je longeais un tas d’ordures empilé le long d’un mur. La température glaciale n’avait pas réussi à en geler l’odeur immonde. Je le dépassais au plus vite avant que je ne périsse asphyxié.

Un grognement sourd retentit dans mon dos. Aille ! J’avais trouvé un truc, mais ce n’était pas le tueur. Je me demandais si à la limite je n’aurais pas préféré un bon psychopathe armé d’un couteau. J’avais dû débusquer un gros chien féroce vu la voix grave et menaçante que ce molosse possédait.

– Gentil le toutou …

Je parlais doucement pour ne pas énerver le fauve. Ce genre de bestiole pouvait être susceptible. J’eus un petit sourire et je ne pus m’empêcher de rajouter un mauvais trait d’humour à voix basse.

– Loup y es-tu ?

Je pivotais doucement sur moi-même pour faire face au danger et ne pas effrayer la bête. Je tenais à mon fond de pantalon.

Je ne vis qu’une espèce de mur noir velu situé à moins de deux mètres de moi. Le bruit venait de beaucoup plus haut que je ne le pensais. Je relevais ma lampe. Tout d’abord je ne vis que des yeux rouges, injectés de sang, briller dans le halo de la lumière. Ils se tenaient à une bonne tête au-dessus de moi. Ensuite je remarquais le trou béant d’où sortait le grognement. Une haleine de hyène fétide se dégageait de sa gueule ouverte, où je voyais briller des crocs long comme mon index. Des filets de bave en dégoulinaient. Des oreilles pointues complétaient le tableau. Qu’est ce que c’était que ce monstre ? Il se tenait debout, comme un homme, mais il ressemblait à un gros chien noir hargneux. Voilà autre chose ! J’étais tombé sur un imitateur qui s’était camouflé en loup ! Complètement frappadingue ! S’il croyait m’impressionner avec son déguisement de pacotille, il s’était bien trompé ! Certes c’était impressionnant pendant la première seconde, mais maintenant, je ne marchais plus.

– Loup y es-tu ?

Mon ton était nettement plus ironique que la première fois. Ce clown, ne croyait quand même pas que j’allais être pétrifié de terreur devant lui ?

Il poussa un grognement de rage et leva un long bras maigre, couvert de muscles noueux. Sa main se prolongeait par cinq griffes de trente centimètres chacune. Bob, mon vieux Bob, où est ce que tu te planques ? J’ai besoin de toi !

Sans attendre de le laisser terminer son mouvement, je lui lâchais une décharge de chevrotine dans la panse. J’avais tiré au jugé, mais à cette distance, je ne pouvais pas le rater, même en faisant exprès. L’impact des plombs le projeta dans le tas d’ordures. Saleté ! Cela devait l’avoir calmé pour de bon !

Je n’en crus pas mes yeux lorsque moins d’une seconde après son vol plané il se releva. Ah ! C’était un sacré mariole ! Il portait un gilet pare-balles. N’empêche, qu’il avait dû sentir passer le choc, il était un peu hagard. Je ne me posais pas plus de questions, je pompais toutes les cartouches et je vidais mon chargeur dans sa direction en visant la tête.

Il poussa un long hululement avant de s’effondrer sur le dos. Avant d’aller vérifier s’il était bien mort, je fouillais frénétiquement mes poches à la recherche de munitions. Je ne trouvais rien. Le corps étalé sur les déchets se mit à tressauter. Il se relevait encore ! Bob, qu’est ce qui te retient ! J’ai vraiment besoin de toi !

Ma main se referma sur des objets de forme familière. Des cartouches de calibre douze ! Mes doigts ne m’obéissaient plus. Je laissais tomber la plupart des munitions par terre, avant de réussir à en saisir deux.

Le dingue était à genoux, il se préparait à me sauter dessus. J’enfonçais la première cartouche et je pompais pour armer mon arme. Il me bondit dessus toutes griffes dehors juste au moment où je lui tirais dessus. Je n’avais visé aucun endroit particulier, je voulais juste essayer de gagner du temps et j’avais agi plus par instinct que par volonté. Son sang m’éclaboussa tellement il était près de moi.

Il s’affaissa dans un râle de douleur à mes pieds. Je levais un pied pour m’écarter. Mon arme avait beau être vide, je ne pouvais m’empêcher de la braquer en avant. Les habitudes ont la vie dure. D’un spasme, le maniaque se redressa et d’un coup de griffe m’entama l’avant-bras gauche. De douleur j’en lâchais mon fusil inutile.

– Bouges toi de là !

Je bondis de côté sans essayer de comprendre et je fis un roulé-boulé. J’essayais de m’appuyer su r mon bras blessé. Il ne me soutint pas et je m’éclatais le nez sur le sol gelé.

Des images de gerbes de flamme se gravèrent sur mes rétines, immédiatement suivi par les claquements des détonations du fusil de mon collègue. Je hoquetais. Bob me tendit une main charitable pour m’aider à me relever. Des sirènes de police se firent entendre. Les autres collègues arrivaient à toutes jambes … Une fois que tout était terminé, comme d’habitude.

– Tu en as mis du temps…

– J’ai fait aussi vite que possible … c’était lui ?

– Ben en tout cas c’était quelqu’un qui en voulait à ma peau. Fais gaffe, c’est un mariole. Je lui ai vidé mon chargeur, il s’est relevé. C’est un monstre, un géant… Il est peut-être défoncé à une drogue quelconque.

Bob eut un rire gras.

– Pour se balader à poil par ce temps, c’est clair qu’il devait être sérieusement atteint ! Mais du point de vue taille, il tape plutôt dans la catégorie gringalet ton type…

Il pointait le bout de son fusil en direction du corps étendu. Je n’en croyais pas mes yeux. A la place de l’armoire à glace recouverte de fourrure noire et bardée de crocs acérés et de griffes, se trouvait le cadavre d’un blanc à poil, plus petit que moi. Je ne savais plus quoi dire. Mon métier consiste à collecter les faits, rien que les faits. J’étais sûr de ce que j’avais vu, mais les preuves étaient là. Mon agresseur était étendu, raide comme la justice, baignant dans son sang et ce n’était qu’un simple taré, nu comme un ver. Pourtant je n’avais rien pris ! J’étais plus sobre qu’un juge. Quoique là, je n’aurais rien dit contre le fait de prendre un truc bien raide.

– Je … je pense que la lumière m’a joué un drôle de tour…

Je ne pouvais pas avouer à mon vieux collègue ce que j’avais vu. Il aurait cru que je me moquais de lui et l’histoire se serait répandue à travers tout le service. Il me regardait déjà bizarrement.

– Tu n’as pas l’air d’aller bien. C’est lui qui t’a arrangé ? Tu sais que tu saignes ?

– Ouais ! Il a fait ce truc à main nue … l’autopsie nous dira à quoi il marchait…

– Il t’a enlevé un sacré morceau de viande… je vais t’emmener à l’hôpital.

– Tu es une vraie mère pour moi…

– Ne le crie pas trop fort, cela ferait jaser. Appuie-toi sur moi, tu es tout pâle et tu trembles.

– C’est le froid …

– Bien sûr, bien sûr. Au fait, qu’est ce que tu tiens serré dans ta main comme cela.

J’essayais d’ouvrir le poing. Une cartouche d’argent s’y trouvait. C’était la deuxième munition que j’avais réussie à attraper, la sœur de celle qui avait foudroyé mon agresseur. Je faillis éclater d’un rire hystérique. Le type en avait eu pour son argent ! Je ne m’étais même pas rendu compte que je m’étais crispé dessus. Mes nerfs devaient être plus atteints que je ne l’aurais cru.

Bob secoua la tête et m’aida à ouvrir mes doigts. Soigneusement il prit la balle et l’enferma en sécurité dans une de mes poches. Puis, il défit sa ceinture et me fit un garrot. Des crissements de freins se firent entendre et la lumière des gyrophares envahit la ruelle en tournoyant. La cavalerie venait d’arriver. Taiaut !

Bizarre, tout tournait autour de moi. Ces lumières criardes me devenaient insupportables, je ne distinguais plus rien de cohérent autour de moi. Soudain le sol sembla m’aspirer. Qu’est ce que j’avais sommeil d’un coup.

La voix de plus en plus lointaine, comme étouffée, de Bob me parvenait.

– Eh ! Vieux ! Reste avec moi !

– Mais … Je ne bouge pas … Je reste là.

Tout devint noir.

 

– Alors, vous vous sentez mieux ?

Je ne connaissais pas la voix qui venait de me parler. C’était une infirmière. J’étais dans une chambre, installé bien confortablement dans un lit, avec un goutte à goutte qui perlait le long de mon bras droit.

– Ne bougez pas, vous êtes encore faible. Il a fallu vous mettre une dizaine de points de sutures et vous avez perdu beaucoup de sang.

– Je suis là depuis combien de temps ?

– Vous avez été amené dans la nuit, il n’y a pas plus d’une dizaine d’heures. Ah au fait, félicitations pour avoir mis hors d’état de nuire ce fou sanguinaire.

– J'ai chaud ...et j'ai mal au bras...

Elle me tamponna le front.

– Vous avez un début de fièvre... une septicémie, provoquée par la lame qui vous a blessé, s'est déclenchée. Mais, les antibiotiques vont vite en venir à bout. Ne craignez rien et rendormez-vous. Je voulais aussi vous dire que vous êtes un héros. Encore merci.

Elle me fit un charmant sourire juste avant que je ne replonge au creux de mon oreiller.

Le microbe devait être plus résistant que ce que les docteurs croyaient. Les jours qui suivirent furent brumeux pour moi. J'avais en permanence une grosse fièvre et j’avais l’impression que mon bras gauche avait triplé de volume, tant il me faisait mal.

La situation aurait pu être agréable, j’étais le chouchou de tout l’hôpital, infirmières incluses. Tout le monde était au petit soin pour moi. Cela me changeait agréablement de mon quotidien de policier célibataire. Le boulot que je mène ne favorise pas les relations familiales, nous ne fréquentons que d’autres policiers. Nous vivions en bandes, comme des loups. En dehors de ce cercle, ma vie sociale avoisinait le zéro.

Seulement, je dormais mal et je faisais des cauchemars. Je revivais sans cesse cette scène où ce fou était en train de m’attaquer avec ces crocs baveux, son regard de damné et ses griffes acérées.

« Loup y es-tu ? »

Cette petite ritournelle me trottait sans arrêt dans la tête, je n’arrivais pas à m’en défaire depuis que j’avais repris mes esprits. Quelque chose clochait dans toute cette affaire, mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Le bon vieil instinct du limier me taraudait de fouiller plus avant.

Bob passait me voir tous les jours. Il embêtait toutes les infirmières, j’en étais jaloux et il me gavait de pâtisseries. Pour m’occuper et me tenir au courant, il m’avait amené les éléments du dossier de l’homme que nous avions tué. Il n’y avait rien. L’homme, la quarantaine bien sonnée, n’était pas un drogué. Il n’était pas non plus un délinquant, c’était un comptable tranquille. Il n’avait pas d’ennemis, son voisinage confirmait que c’était un homme sympathique et sans histoire qui adorait la nature et les longues promenades en forêt. Il avait toujours eu le même train de vie et son existence était réglée comme du papier à musique. Ce type n’avait pas le profil d’un tueur en série, ou alors il avait réussi à dissimuler ses forfaits pendant des années. Je n’arrivais pas à croire que d’un coup, sans que personne ne remarque rien, il ait complètement disjoncté. Les deux seules choses, qu’il avait eu de remarquables ces dernières années c’était le fait qu’il se soit fait admettre à l’hôpital parce qu’il avait été mordu par un chien errant pendant une de ses promenades, il y avait plus d’un an. L’autre était qu’il avait arrêté de fumer, il y a neuf mois. Il ne supportait plus l’odeur, avait-il raconté. Pour que ces détails soient restés dans les mémoires de ses connaissances, il ne devait rien avoir de plus passionnant.

Le rapport d’autopsie était consternant de vacuité et d’éléments incohérents. Depuis le temps que je récupère des cadavres et que je cherche à savoir qui les a fabriqués, j’ai appris par la force des choses à lire entre les lignes du jargon scientifique du légiste. Celui-ci était perplexe, mais n’osait pas l’avouer. En apparence, il avait mis son baratin habituel, taille, poids, et autres détails, mais lorsqu’on arrivait aux choses sérieuses, on sentait un début de panique. Il n’arrivait déjà pas à se décider, entre autres, sur la raison de la mort de mon suspect. Bon, il avait de la chevrotine d’argent dans le ventre, tout le monde était d’accord là-dessus. C’était les autres blessures qui ne collaient pas, ou plutôt l’absence de blessures. En autopsiant les organes vitaux, le médecin avait trouvé des plombs dans le cœur, le foie, le cerveau, mais, sans aucune lésion. Il n’y avait pas de cicatrices, rien qui indiquaient comment ils étaient arrivés là. Ces corps étrangers étaient simplement là, comme des amandes au milieu du nougat. Le docteur en perdait son latin. Il émettait même l’hypothèse que la folie de son patient était provoquée par un lent empoisonnement par le plomb sur des années, du saturnisme, selon ses propres termes. N’importe quoi ! J’aurais presque mis ma main au feu que j’avais tiré moi-même la majorité de cette grenaille, lorsque je l’avais abattu. En réalisant une analyse de sang, aucune substance suspecte n’avait non plus été trouvée. Le coup du chien, m’avait fait craindre un instant qu’il avait peut-être choppé un truc sympathique du genre la rage, mais aucune trace de maladie n’avait été repérée. J’espérais quand même être à jour de mes vaccins. Je le demanderai au docteur lorsqu’il passerait me rendre sa visite quotidienne.

Autre élément qui me perturbait, c’était que l’arme qui m’avait expédié aux urgences n’avait pas été retrouvée. Même en fouillant entièrement la ruelle, mes collègues n’avaient pas réussi à mettre la main dessus. Seul indice, c’était la présence de mon sang, de morceaux de ma peau et de fibres de mes muscles qui avaient été retrouvés sous les ongles de la main droite du type à la morgue. Si je me rappelais bien la scène, c’était cette main qui avait tenu les lames qui m’avaient entaillé. Seulement des ongles humains n’auraient pas pu commettre ces plaies béantes dans ma chair. Un sentiment de malaise diffus, de plus en plus persistant me prenait aux tripes. Mais, c’était qui ce type ? Oh ! Que je n’aime pas les enquêtes tordues !

Je craignais de plus en plus de devoir quitter mon lit douillet pour reprendre le collier. M’enfin, un policier reste un policier et je commençais à piétiner dans mon lit. En fait, je ne savais pas si cette période d’inactivité forcée m’avait fait du bien ou quoi, mais je me sentais une forme telle que je n’en avais plus eu depuis des années. Je ne tenais pas en place et je mangeais comme un ogre. J’étais insatiable. Bob prenait un malin plaisir à me ravitailler en douce. Il avait toujours tenu la nourriture des hôpitaux en piètre estime. Ce que je ne lui disais pas c’est que je dévorais entièrement mon plateau à chaque repas et que je demandais du rab. A n’y rien comprendre. J’aurais dû être content pourtant, depuis toutes ces années où je me nourrissais de conserves et de repas vite pris sur le pouce. Pour une fois je mangeais correctement. Je n’en pouvais plus de rester là.

Mais mes cauchemars ne me quittaient pas.

Ils avaient simplement changé. Je ne revivais plus sans arrêt cette nuit. Non, c’était subtilement différent. J’avais changé de point de vue. Maintenant, chaque fois que je m’endormais, je rêvais que j’étais un fauve qui ne vivait que pour assouvir ses instincts de tuerie. Ce qui m’effrayait le plus, c’était que je commençais à les apprécier ces moments de pure sauvagerie. J’étouffais dans cet espace. Qu’est ce qu’il fait chaud dans ces chambres ! J’avais envie de m’arracher les vêtements et de courir nu, sous les rayons de la lune. Libre, enfin !

Je me réveillais toujours de ces rêves en sueur et essoufflé.

Qu’est ce que j’appréhendais et espérais ma sortie ! C’était avec ces sentiments mêlés que je pus quitter cet endroit et retourner à mon domicile. Mon fidèle équipier me ramena dans sa voiture tout en ne cessant de bavasser.

Mon isolement m’avait protégé de la folie ambiante qui avait envahi la ville lorsque le maire avait annoncé que le tueur avait été attrapé. Bob me raconta que mon nom était sur toutes les lèvres et que j’étais considéré comme l’homme qui avait sauvé la ville. Il grogna. Il paraissait même qu’un projet de statue été en cours. Je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer.

En tant que convalescent j’avais droit à quelques jours de congés. Malgré tout je réussis à le convaincre que j’étais prêt à retravailler de suite avec lui. Tout en roulant, je sentis un objet dur dans ma poche de poitrine. Je me demandais ce que c’était. J’allais le chercher. C’était une de ces cartouches en argent. Je la levais à hauteur de mes yeux et je la fis rouler entre mes doigts. La lumière du jour en fit briller la tête. Des sentiments bizarres me traversaient l’esprit.

– C’est celle que tu agrippais l’autre soir, non ?

– Je crois… qu’est ce qu’elle fait là ?

– Comme tu avais l’air d’y tenir, je l’ai mise dans ta poche …

– J’avais oublié.

Je la rangeais de nouveau dans ma poche, près de mon cœur. Sa sœur m’avait sauvé la vie. Les policiers, ce sont des animaux superstitieux. Nous ne crachions jamais sur un porte-bonheur, nous avions trop besoin de chance.

– Alors, comment veux-tu procéder ?

– On va à l’appartement du type ?

– Il a déjà été passé au peigne fin.

– On y va …

J’avais un drôle de pressentiment. Je savais, sans me l’expliquer, que j’étais capable de ressentir des choses que les autres enquêteurs avaient négligées. Il fallait toujours suivre son instinct.

L’homme avait vécu dans un petit pavillon de banlieue, avec un jardinet, comme il en existe tant. En passant la porte, un frisson me parcourut l’échine.

– Loup y es-tu ?

– Qu’est ce que tu dis ?

– Rien … j’ai une ritournelle débile dans la tête et je n’arrive pas à m’en débarrasser.

– Dis, tu ne vas pas me dire que tu crois à cette histoire de loup-garou ?

– Tu rigoles ? Je ne crois plus depuis longtemps à ces histoires ! Elles sont bonnes à ne faire peur qu’aux gamins.

Bob bailla et s’affala sur un canapé.

– Farfouille ! Lorsque tu auras trouvé quelque chose, ou bien quand tu en auras assez, fait moi signe.

Déjà, je ne m’occupais plus de lui. Mes sens de limier s’étaient mis en marche. Je faisais confiance à mon instinct, celui du policier. Je pouvais presque percevoir les effluves du défunt propriétaire des lieux. Une odeur forte, comme celle d’un fauve, me chatouillait les narines. Ce n’était pas désagréable juste entêtant, comme lorsqu’une personne met trop de parfum. Bob n’avait pas l’air d’en être incommodé. Bizarre, depuis quelques temps, je percevais tous les détails de mon environnement d’une façon exacerbée. Mes vacances forcées m’avaient fait un bien fou.

Une autre odeur, presque putride, me perturbait plus. Je regardais par la fenêtre du salon en direction du jardinet.

– Nos équipes l’ont fouillé ?

Bob suivit mon regard.

– Non, ce n’était pas la peine. Le sol est meuble, toute trace récente de travaux aurait été visible. Il n’y avait rien. Même les chiens policiers n’ont rien senti d’anormal, lorsqu’on a fait une perquisition pendant que tu étais inconscient.

Je sortis quand même dans le jardin. Effectivement, rien ne semblait anormal. Mais d’où venait cette drôle d’odeur. Je levais le nez pour mieux sentir. Le fumet était plus important. Je haussais les yeux en direction de l’unique arbre qui se trouvait là. Je crois que c’était un peuplier, une belle bête d’au moins cinq mètres de haut. Il n’y avait pas de branches basses qui eut pu permettre d’y grimper. Je regardais dans les branches hautes. Je n’y décelais rien d’anormal. Je tâtais l’écorce. Elle était intacte. Personne n’avait grimpé là-dessus. N’empêche que quelque chose me titillait. J’allais chercher une échelle. Bob me regardait d’un air narquois, l’air de dire que j’avais complètement perdu les pédales.

– Tu sais que pour réaliser ce genre d’acrobatie, ce n’aurait pas été très discret, à la vue de tous, les voisins et des passants ?

– J’en suis conscient … mais d’un fou tu ne peux pas attendre qu’il agisse raisonnablement ! De plus, il y a là quelque chose qui m’intrigue.

Il se marra, pendant que je grimpais souplement dans cet arbre. L’odeur augmentait à mesure que je progressais. Je m’arrêtais pour me repérer. Il y avait quelque chose pas très loin. Maintenant j’en étais sûr, même si je ne pouvais pas le voir. Je continuais à grimper en m’aidant des branches. L’échelle n’était plus assez haute.

– Fais attention ! Tu vas te rompre le cou !

Soudain, je découvris une chose incroyable ! Au milieux des branches, pendaient ce que je pris au départ pour des morceaux de tissus ou des bouts de laine. Je m’en approchais. L’odeur en était presque insoutenable. Je souriais, ou plutôt je fis un rictus en montrant les dents.

– J’ai trouvé quelque chose !

– Quoi ? Un corbeau crevé ?

– Je ne sais pas exactement et je ne veux pas y toucher, pour ne pas brouiller les indices mais c’est bizarre. Envoie-moi un mec de l’équipe scientifique. Après tout c’est son boulot !

Je redescendis précautionneusement en veillant à ne pas tomber. Je ne m’étais pas rendu compte que c’était si haut.

– Super ! Je ne savais pas que tu étais si agile …

– Ne rigole pas, j’ai bien failli y laisser ma peau, oui !

Je n’en pensais pas un mot, je n’étais pas peu fier. J’avais rarement eu autant le pied sûr. Même quand j’étais plus jeune, je n’avais jamais fait preuve d’une telle dextérité.

En plaisantant, les types vinrent examiner ma trouvaille et prendre des photos. Lorsqu’ils redescendirent, ils étaient pâles comme des linges et ils ne riaient plus du tout.

– Pouah ! Ca refoule !

– Félicitations, dans le concours catégorie objets putrides, tu as gagné… ce sont des restes de peau humaine, de cuir chevelus … des scalps, quoi ! Et de fibres musculaires, le tout était dans un état plus ou moins avancé de décomposition. Bravo pour l’avoir trouvé, nous aurions pu tourner une éternité avant de les trouver.

– Envoyez-le tout au labo et essayez de déterminer si ces bouts appartenaient aux victimes du « loup-garou ».

– Comme c’est son jardin, tu ne prends pas trop de risques !

Une fois qu’ils furent partis, Bob se tourna vers moi.

– Qu’est ce qu’il faisait de toutes ces saletés ?

– Je crois que c’était des trophées … ce qui m’impressionne le plus c’est de savoir comment il grimpait là-haut et surtout sans se faire remarquer.

Je me massais les tempes. La petite voix dans ma tête recommençait à chanter « Loup y es-tu ? ».

– C’était si moche ?

– Je vais dire que j’ai vu plus joli…

Je ne pouvais pas lui dire ce qui me dérangeait réellement, c’est que j’avais presque pris du plaisir à trouver cette ignominie. Il ne me demanda pas comment j’avais eu l’idée d’aller voir là-haut. Tant mieux, cela m’évita d’avoir à lui mentir.

 

Pour cette confirmation de l’identité du tueur en série en plus de sa capture, je fus décoré par le maire lui-même et mon visage tapissa tous les journaux. La vie allait pouvoir reprendre son cour normal. Les honnêtes citoyens, tous ces moutons, allaient pouvoir ressortir le soir dans les rues, au lieu de se terrer en bêlant. Personne ne se soucia de savoir où était passée l’arme qui avait permis au meurtrier d’accomplir ses forfaits. Moi, je me sentais mal à l’aise. Je ne considérais pas cette affaire comme close.

J’espérais surtout que mes cauchemars allaient disparaître. Ce n’était pas le cas. Le pire c’était pendant les nuits de pleine lune. A ces moments, je me découvrais une faim insatiable pour la viande rouge saignante. Je ne buvais même plus du café, j’étais trop énervé. Je ne voulais pas aller voir un psychiatre. Pour un policier c’était le début de la fin, alors je ne disais rien à personne. Qu’est ce que je lui aurais dit de toute façon ? Physiquement, j’étais au mieux de ma forme, alors de quoi je me serais plaint ?

Six mois après ces événements, les meurtres reprirent. Le tueur était de retour. Ou plutôt un de ses émules sévissait. Oh ! Les homicides étaient quasiment identiques à part le fait que les traces laissées par l’arme du crime n’étaient pas les mêmes. L’élève était même plus doué que le maître. Il n’hésitait pas à s’attaquer à des groupes de deux ou trois personnes. Contrairement à feu le comptable, le nouveau psychopathe était bien plus organisé et connaissait parfaitement les techniques de la police. Certains, dont moi, commençaient à se dire qu’il en avait une trop bonne compréhension pour ne pas en être très proche. Qu’est ce qui pouvait bien passer dans la tête de ce malade ?

« Loup y es-tu ? »

La psychose reprit de plus belle. Vu mes brillants résultats lors de la précédente affaire, je fus désigner pour coordonner les recherches. C’était un honneur dont je me serais bien passé. J’en sus vite sur ce dossier bien plus que tout ce que j’aurais souhaité.

Plus je voyais les plaies sur les victimes plus je pensais à des coups de griffes. C’était insensé ! La traque reprit. Je ne voulu pas y participer et je trouvais tous les prétextes possibles pour y échapper. Personne ne m’en voulut, bien au contraire. Mes collègues trouvèrent ce comportement parfaitement normal. Nul ne voudrait revivre ce que j’avais vécu dans cette ruelle.

Je ne dis à personne que tous les soirs de ces nuits de pleine lune je m’enfermais à double tour chez moi, comme tous ces peureux. Je rêvais de plus en plus souvent à des carnages à ces moments. Des visages humains me hantaient et hurlaient à mes oreilles. Et le matin, je me retrouvais dans mon appartement ailleurs qu’à l’endroit où je m’étais couché. Je me faisais des petites crises de somnambulisme, bon et alors ce que je faisais seul à mon domicile ne concernait que moi, après tout… je commençais à avoir franchement peur maintenant, mais je n’avais rien à me reprocher, pourtant.

« Loup y es-tu ? »

Un jour, je craquais et j’allais entreprendre un tour à la morgue. Je voulais avoir une idée de ce à quoi ressemblait les victimes. J’aurais pu me contenter de regarder leurs visages sur les photos dans le dossier criminel, mais je préférais un contact direct.

Les odeurs de la morgue faillirent me faire vomir. J’étais de plus en plus sensible à tous ces détails et je me posais des questions. Est-ce que par exemple cela m’aurait fait arrêter de fumer si jamais j’avais eu cette petite manie ?

« Loup y es-tu ? »

Personne ne s’étonna de me voir dans ces lieux. Après tout, j’étais en charge de l’enquête, bien au chaud dans mon bureau pendant que ce brave Bob battait le pavé comme les autres.

J’attendis que le médecin légiste me laissa seul pour oser ôter le drap du dessus des corps mutilés. Je fixais horrifié ces visages qui m’étais si familiers… C’étaient les mêmes que ceux de mes rêves de massacre. Non, il y avait une explication rationnelle. Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine, je ne pouvais pas y croire.

Ca y est, j’avais compris. Je les avais déjà vus sur les photos et mon inconscient m’avait joué un mauvais tour. Ouf, je fus soulagé d’avoir trouvé une explication.

Ma petite voix recommençait à me chanter son leitmotiv. Elle semblait se moquer de moi.

« Loup y es-tu ? »

Je sortis en hâte de cet endroit. Oh, je ne m’enfuyais pas de la morgue, j’étais juste très pressé. J’avais une tonne de travail à abattre. Un meurtrier errait dans cette ville et je me devais de le retrouver.

Les choses empirèrent. Les morts s’accumulaient sans que nous y puissions rien faire. Une nuit, des policiers arrivèrent à débusquer le monstre. Je crois qu’il voulait être trouvé et que c’était lui le vrai chasseur. Réussir à amener ses proies à aller à lui sans qu’il n’ait à se fatiguer, était la preuve d’un vrai traqueur. Ce fut un massacre. Aucun policiers n’en réchappa et le tueur s’en alla tranquillement, indemne. J’en étais presque admiratif, si je n’en avais été tant écoeuré. Bob, faisait partie des victimes. Comme les autres il avait eu le cœur arraché et la gorge lacérée.

J’avais donné des ordres stricts pour que mes hommes me préviennent du moindre élément suspect. Mais, je dormais trop profondément pour entendre les coups de téléphone à répétition. Je ne m’en remettais pas. Je passais toute la journée à pleurer mon vieil ami. Je n’arrivais même pas à me traîner au bureau. Pourquoi est ce que j’avais autant mauvaise conscience ? Je n’avais rien, rien à me reprocher !

« Loup y es-tu ? »

Dire que c’était arrivé la dernière nuit de pleine lune avant qu’elle ne décroisse. Le soir arrivait à grandes enjambées. Je surveillais avec appréhension le soleil descendre sur l’horizon. Dans une de mes poches, j’avais retrouvé la cartouche de chasse en argent. Je ne pouvais pas m’empêcher de jouer avec elle. Elle m’inspirait des pensées morbides. Mon cœur battait à se rompre. Qu’est ce que cette nuit allait encore nous réserver ?

J’ouvris ma chemise et je m’observais dans un miroir. Je m’approchais de mon reflet et je passais ma main sur mon visage. L’autre dans la glace me regardait fixement. Il avait une sale tête. Ses yeux fiévreux étaient fortement enfoncés dans ses orbites. Il tenait toujours la balle en argent qui m’attirait si inexorablement et implacablement. Il ouvrit la bouche et se mit à chantonner à haute voix.

« Loup y es-tu ? »

 

 

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